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Ecole de Design Graphique à Paris
Photo du rédacteurKevin Bideaux

Digital Colors

La révolution du numérique a permis de créer de nouveaux espaces certes immatériels, mais non dépourvus de couleurs pour autant : omniprésentes dans le monde physique, les couleurs le sont également dans les cyberespaces. Les technologies numériques permettent même de créer davantage de couleurs qui n’existent pas dans la nature ni ne sont (encore) reproductibles sous forme de matière colorante, ouvrant ainsi une infinité de possibilités créatrices. Mais qu’en est-il de la couleur du numérique en tant que telle ? Quelle(s) couleur(s) associe-t-on à l’immatérialité de concepts aussi abstraits que les internets, le virtuel ou encore les métavers ? Découvrons ensemble les Digital Colors !


Digital colors

 

 

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BLEU la froideur des internets


Dans une courte enquête diffusée sur les réseaux sociaux, plus de la moitié des 83 personnes interrogées (53%) associent le bleu aux internets 1 . Le bleu est en effet la couleur des logos de plusieurs grands acteurs des internets comme Facebook, Twitter et LinkedIn, mais il est surtout celle de l’historique et emblématique navigateur web Internet Explorer. En outre, si l’on tape « internet » sur un moteur de recherche d’images, la plupart d’entre elles seront bleues et lumineuses, représentant des réseaux de connections ou le globe terrestre avec ses parallèles et ses méridiens.

BLEU la froideur des internets

Selon la philosophesse Silvia Mollicchi, cette association serait due à la perception des internets comme des espaces froids, où la dématérialisation opérée par le web signifierait la disparition du corps et la déshumanisation des relations entre internautes 2 . On retrouve cette vision négative dans plusieurs films de science-fiction où l’intrigue se situe dans un futur ultratechnologique – Altered Carbon (Laeta Kalogridis, 2018-2020) –, ou au sein-même d’un cyberespace – Tron (Steven Lisberger, 1982). Les mondes numériques se traduisent alors en images avec des univers austères plongés dans l’obscurité, mais néanmoins éclairés par de multiples sources de lumière bleutée. 


On pourrait aussi y voir une allusion à notre Terre surnommée la « planète bleue » : le bleu serait alors une référence à la « toile mondiale 3  » que sont les internets, permettant la connexion et la mise en réseau d’individu·e·s pourtant éloigné·e·s géographiquement. À moins qu’il ne s’agisse d’une référence à la métaphore de la vague et à la possibilité de « surfer » sur le web. Toutefois, certain·e·s artistes dénoncent aussi cette vision universaliste de la mondialisation du web, qui ne s’est faite qu’au détriment des pays des Suds. 


Avec la vidéo DEEP DOWN TIDAL (2017), Tabita Rézaire dénonce ainsi un « colonialisme électronique en mettant en exergue les réseaux de câbles sous-marins qui font fonctionner les internets, mais qui se concentrent sur des connections entre Europe et Amérique du Nord. De son côté, l’esthétique seapunk, diffusée sur Tumblr au début des années 2010, assemble numériquement des éléments aquatiques avec des ruines antiques pour critiquer les dérives consuméristes du web et de la globalisation 4 .


1. Enquête diffusée sur Instagram, LinkedIn et Facebook auprès de personnes vivant majoritairement en France (92%), leur demandant quelle couleur als associent à l’informatique, au numérique, aux internets et aux métavers.


2. H. Stuhr-Rommereim et S. Mollicchi, « Limelight on the butterfly’s wing: seapunk and other structural colorations », Fungiculture, 2014.


3. L’expression world wide web – qui correspond au « www » en début des adresses internets – signifie en français « toile mondiale », en référence aux différents réseaux interconnectés que forment les hyperliens.


4. K. Bideaux, « Seapunk et vaporwave : esthétiques prospectives de deux hétérotopies virtuelles », in : V. Dassié (dir.), Pratiques artistiques et culturelles : jeux du réel et du virtuel entre plausible et incroyable, Paris, éd. du CTHS, 2022.


 

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VERT l’illusion du virtuel


Les mondes numériques sont loin d’être monochromes et le bleu doit cohabiter avec une deuxième couleur emblématique : le vert 5 . Dans la saga Matrix (1999, 2003, 2003, 2021) des sœurs Wachowski, chacun des films s’ouvre sur un flot de texte vert incompréhensible 6 qui tombe en cascade sur un fond noir. Ces lignes de codes sont associées à la Matrice, un monde virtuel fictif, à l’intérieur duquel les humain·e·s sont gardé·e·s inconsciemment sous contrôle, afin de servir de ressources énergétiques à des machines qui ont pris contrôle du monde « réel ». 


VERT l’illusion du virtuel

La « pluie verte » de ce succès cinématographique a imprégné l’imaginaire collectif de plusieurs générations, qui l’ont associée aux mondes numériques, non sans une dimension dangereuse du risque de déréalisation que suggère le film. Le vert est aussi la couleur des premiers moniteurs monochromes : commercialisés des années 1960 au début des années 1980, ils fonctionnaient grâce à un tube cathodique rempli de phosphore, qui matérialise à l’écran l’ensemble des textes et graphiques en une seule couleur. 


Plusieurs types de phosphores étaient employés, donnant des écrans verts, ambre ou blancs ; le phosphore P1 étant le composant le moins cher, il fut le plus employé afin de ne pas trop augmenter le prix du matériel informatique déjà élevé, ce qui a contribué à associer le vert avec les débuts de l’informatique. Une autre technologie numérique est aussi associée au vert : l’incrustation. Issue du cinéma et de la télévision, c’est un procédé qui permet d’ajouter en post-production un décor derrière un objet qui a été filmé sur un fond monochrome. 


Les premiers essais d’incrustation remontent à la toute fin du XIX e siècle mais elle n’a été réellement maîtrisée que dans les années 1930. Parce qu’on travaillait encore sur des pellicules et que l’incrustation se faisait grâce à des réactions chimiques, il était préférable d’utiliser un fond bleu ; avec l’arrivée du numérique, on opta plutôt pour le fond vert, notamment pour les emplois télévisés : la plupart des présentateurs portant du bleu, l’utilisation d’un écran bleu créerait l’incrustation aussi sur leurs vêtements.


5. Dans l’enquête réalisée, 19% des répondant·e·s l’associent au numérique, juste derrière le bleu qui garde une nette préférence (48%). En additionnant les données recueillies pour le numérique, les internets et les métavers, le vert reste en deuxième place (12%), derrière le bleu (40%).


6. En réalité, des caractères japonais, des lettres et des chiffres.


 

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VIOLET 50 nuances de métavers


À l’heure du web3 7 , les cyberespaces désormais appelés métavers, sont davantage associés au violet, même si l’enquête montre que le bleu et le vert restent proches 8 . Mélange de rouge et de bleu et dernière couleur à poindre à l’horizon lorsque le soleil se couche, le violet est perçu comme une couleur liminale. À la frontière des mondes du visible et de l’invisible, on l’associe souvent à la magie, à la spiritualité ou à l’ésotérisme ; réunissant le bleu et le rose, couleurs que la tradition associe aux garçons et aux filles, le violet est aussi un emblème transgenre autant que féministe 9 . 


VIOLET 50 nuances de métavers

Imaginer le métavers en violet, c’est ainsi mettre en relation le monde virtuel avec le monde réel, tout en soulignant l’effacement des questions de genre dans les espaces numériques où l’anonymat est légion 10 . Ce n’est donc sûrement pas un hasard si l’Institut Pantone a élu en 2022 la nuance Very Peri comme couleur de l’année : proche de la couleur des fleurs de lavande, ce mauve se veut être l’illustration de l’influence mutuelle entre monde numérique et monde physique. Proche du bleu des internets originels, Very Peri possède une pointe de rouge, couleur du sang, du corps et de la vie, traduisant l’idée d’un web3 plus humain, mis au service de ses usagēr·e·s. 


En 2023, c’est une nouvelle nuance du champ du violet que Pantone place au rang comme couleur de l’année : Viva Magenta. , Plus proche du rouge, cette couleur s’inspire du carmin, pigment rouge connu depuis l’Antiquité, obtenu en broyant des insectes. Pantone imagine ainsi un « Magentaverse » davantage connecté au monde réel, dont les frontières avec le virtuel s’effaceraient, traduisant le souci de rendre plus tangibles les cyberespaces.


7. Succédant au web 1.0 qui permettait la consultation d’informations en ligne et au web 2.0 qui a vu naître les réseaux sociaux, le web 3.0 (ou web3) se veut une évolution vers une décentralisation des internets permise par la mise en place de réseaux gérés par les utilisataires et non plus par des grands groupes (les blockchains).


8. Als sont 23% à citer le violet comme « couleur des métavers », suivi par le bleu (20%), le blanc (12%), le vert (10%) et le gris (10%).


9. E. Heller, Psychologie de la couleur. Effets et symboliques, Paris, Pyrayd, 2009 [2000], pp. 161-176.


10. K. W. Lau, « The gender differences in metaverse: a study of university art and design students », Open journal of art and communication, 1(1), 2014, pp. 14-19.



 

Si nos ordinateurs sont pour la plupart gris ou noir 11 , nous avons une vision polychrome du numérique, qui se décline en nuances lumineuses de bleu, de vert et de violet. Loin d’être un espace hostile, les cyberespaces, encore mystérieux pour beaucoup de personnes, nous semblent donc accueillants. Certain·e·s répondant·e·s de l’enquête les décrivent d’ailleurs à la marge comme multicolores, donc à l’image de notre monde réel, ou transparent, laissant passer les couleurs de notre réalité. L’avenir nous dira si, un jour, le monde réel ne commencera pas à ressembler aux métavers, à moins que cela n’ait déjà commencé...


11. Le gris (34%) est la couleur la plus associée à l’informatique (34%), suivi par le bleu (33%) et le noir (15%).


➔ Pour conclure cet article, l'auteur Kevin Bideaux, artiste, chercheuri, enseignanti et auteuri, partage son expertise unique avec 1984 School of Design. Passionné par l'étude des couleurs (en particulier du Rose), du genre et de l'histoire de l’art, il enseigne aux étudiants l’importance de ces thèmes dans le graphisme contemporain. Cette collaboration enrichit particulièrement l’approche pédagogique de l’école.


Nous remercions également Ophélie Vigani, responsable pédagogique et directrice artistique et Nemo Rota étudiant en derniere année chez 1984 School of design pour la réalisation des médias qui illustrent cet article.


Pour plus d'informations sur notre école :










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